Yvan Mahé
« La difficulté c’est de garder le même niveau d’exigence »
Née il y a près de 40 ans, Équipe Europe est l’une des plus importantes écurie de course historique opérant sur le vieux continent. Et pour cause, jusqu’à 30 voitures sont parfois préparées, acheminée et engagées sur un même meeting par la structure d’Yvan Mahé… Une sacrée logistique !
En quoi consiste l’activité d’Équipe Europe ?
Depuis 1986, Équipe Europe réstore, prépare et engage des voitures de course historiques sur des compétitions telles que Le Mans Classic ou le Tour Auto. Notre atelier, en Seine-et-Marne, héberge 140 automobiles appartenant à des propriétaires français, américains, japonais, chinois. Nous amenons jusqu’à trente voitures sur certains événements. Cela représente dix semi-remorques et une cinquantaine de personnes. Une sacrée logistique !
De quelle époque sont les voitures sur lesquelles vous travaillez ?
Des années 1950 aux années 2010. Mes employés, qui ont tous leur spécialité, sont répartis dans l’atelier en fonction des années de production des autos.
Vous faites tout en interne ?
Oui, excepté la sellerie et la peinture. Nous travaillons avec des fournisseurs pour les moteurs, les boîtes, les amortisseurs… Et, quand on ne trouve pas les pièces, on les fabrique nous-mêmes. Même celles en carbone ! Et puis, nous venons d’acquérir une imprimante 3D, qui va nous permettre de gagner beaucoup d’autonomie sur la fabrication de certaines pièces. Un bouton en plastique de tableau de bord, par exemple, peut être refait à l’identique en quelques minutes.
Comment obtenez-vous les plans de ces pièces ?
Soit, nous avons les fichiers CAO de l’époque. Soit, nous faisons de la rétro-ingénierie avec un scanner 3D. Des fois on parvient à récupérer les moules de carrosserie chez les fournisseurs de l’époque.
Chaque voiture est une remise en cause ?
Pas complètement car, à chaque époque, les constructeurs font appel aux mêmes équipementiers. Donc une fois acquise la compétence sur une voiture, on peut facilement s’attaquer à ses concurrentes.
Quel a été votre plus gros défi ?
Peut-être la restauration de la première Peugeot 905, un prototype des 24 Heures du Mans du début des années 1990. J’avais dû recruter des techniciens venus du moderne, des anciens de chez Pescarolo, pour dépatouiller l’informatique. Ils avaient commencé par utiliser les logiciels de l’époque, qui tournaient sous MS-DOS et pour lesquels il fallait taper des lignes de code à n’en plus finir. Puis, avec Oreca et Magneti-Marelli, nous avons développé notre propre solution, inspirée de celle des LMP2. Maintenant, nous maîtrisons parfaitement ce type de restauration.
La restauration haut de gamme ne fonctionne qu’avec des modèles d’exception
Quel est le secret de votre longévité ?
La difficulté en grandissant, c’est de toujours garder le même niveau d’exigence. L’une des clés, c’est la stabilité du personnel. Nous avons quinze employés en CDI et presque aucun turnover. À l’atelier, nous avons des horaires fixes, de 8 h 30 à 18 heures. Les nocturnes n’existent pas chez nous. On ne termine pas le montage des voitures sur les circuits. On rémunère nos gars comme il le faut. Souvent, en sport automobile, on profite de la passion des gens pour les sous-payer.
Qu’est-ce qui a le plus changé depuis 1986 ?
La fiabilité des voitures. Dans les années 1980, il y avait trente voitures au départ, dix à l’arrivée. Aujourd’hui 95 % vont au bout. Les huiles ont fait d’énormes progrès. Et puis la qualité des matériaux a progressé. Les mécaniciens se sont professionnalisés. Un écosystème s’est développé. Au début, je devais racheter des stocks de pièces dès que j’en trouvais. Aujourd’hui, on trouve des sociétés qui refabriquent des moteurs ou des éléments de carrosserie comme à l’époque.
Les coûts aussi ont explosé non ?
C’est sûr qu’à 20 ans, j’avais acheté ma première MG pour l’équivalent de 2.000 euros. Aujourd’hui, une youngtimer telle qu’une Golf GTI coûte 40.000 euros… Tu ne peux plus te payer ça avec un job d’été.
D’ailleurs vous ne travaillez pas sur ce type de voitures…
La restauration haut de gamme ne fonctionne qu’avec des modèles d’exception. Refaire proprement une Jaguar Mk II coûte, au minimum, 150.000 euros. Mais la valeur de l’auto ne dépasse pas les 60.000. Ça n’est pas viable.
N’est-ce pas devenu un petit peu trop élitiste ?
En course historique, on essaie vraiment de garder le contact avec le public. Les paddocks sont ouverts et nous prenons le temps de discuter avec les visiteurs.
Vous pilotez un peu aussi. quel est votre meilleur souvenir au volant ?
J’ai eu la chance de faire plusieurs fois Le Mans Classic au volant de la Matra MS 660 de l’un de mes clients. Rouler de nuit, derrière une Ferrari 512S, au son des V12 qui résonnent dans la forêt d’Indianapolis… C’est juste magique !
Comment envisagez-vous l’avenir ?
Mon fils Guillaume assure la suite d’Équipe Europe. Et les enfants de nos clients commencent aussi à s’y mettre. Tous les voyants sont au vert !