Patrick Peter
« Il faut stopper la course à l’armement »
Une page se tourne. En 2025, Patrick Peter ne sera plus aux commandes des événements de Peter Auto. Mais, rassurez-vous, le jeune et dynamique septuagénaire ne manquera pas d’occupations dans les mois à venir. Avant de (re)prendre large, il nous livre une analyse passionnante sur quatre décennies d’évolution des courses historiques.
Personnage incontournable du sport automobile moderne – initiateur du renouveau des courses de GT dans les années 1990 (BPR, Barth-Peter-Ratel), puis des courses d’endurance dans les années 2000 avec l’ACO (ELMS) – Patrick Peter est aussi l’un des acteurs principaux de la croissance du sport automobile historique depuis les années 1980. Nous lui devons notamment le Tour Auto, Le Mans Classic et tout un univers de séries disputées sur les circuits européens. Nous l’avons rencontré en marge des International Historic Motoring Awards à Londres, où lui et son épouse Sylviane ont reçu une prestigieuse distinction, saluant leur remarquable carrière.
À quoi ressemblait une course historique il y a quarante ans ?
Patrick Peter : Aux Coupes de l’Âge d’Or à Montlhéry, un pourcentage non-négligeable de voitures arrivaient par la route, participaient aux courses, et repartaient par la route. Les autres venaient sur de simples remorques, le plus souvent attelées à un Range. Aujourd’hui, j’ai tendance à dire que certains concurrents achètent le motor-home avant la voiture. La qualité des plateaux était très inégale. Je me souviens d’une formule monotype avec des monoplaces Panhard qui tenaient avec du fil de fer et faisaient un brut inaudible. Mais nous avions aussi de très belles automobiles. Quand on voyait une Ferrari 250 Châssis Court, on savait que c’était une vraie, car les continuations n’existaient pas. Dans les années 1990 au Tour Auto, il y avait parfois cinq ou six Ferrari 250 GTO. Aujourd’hui, à cinquante millions d’euros le morceau, c’est inimaginable.
D’ailleurs, à sa création en 2002, Le Mans Classic n’était ouvert qu’aux châssis ayant réellement disputé les 24 Heures du Mans…
Oui mais, à cette époque, le visionnaire Max Mosley [sic] a autorisé les continuations en compétition, contre la volonté de la commission historique. Depuis, il y en a toujours plus chaque année. Certains propriétaires courageux résistent, comme Conrad Ulrich avec sa Ferrari 250 GT SWB ou Jean-Jacques Bally avec sa Maserati A6 GCS. Peter Auto est l’un des derniers organisateurs à présenter des voitures de grande valeur en compétition.
Quel est le secret pour convaincre ces propriétaires ?
Il faut les rassurer et, pour cela, prendre des mesures visant à temporiser les pilotes les plus turbulents. Par exemple, nous avons amendé nos règlements il y a une dizaine d’années, pour qu’un concurrent, jugé responsable d’un accrochage, soit obligé de prendre en charge la moitié du montant des réparations du véhicule qu’il a endommagé. Et puis, nous avons parfois pénalisé les continuations.
Parfois ?
Oui car tout ne peut pas s’écrire dans un règlement. Par exemple, il est inutile de sanctionner le propriétaire d’une belle réplique de Ferrari 512 engagée dans une course de CER (Classic Endurance Racing). En revanche, s’il y a une « vraie » Ferrari 512 et une « copie », il faut pénaliser la seconde, sans quoi elle se retrouvera forcément devant. Le pilote d’une voiture à trois millions freinera toujours plus tôt que celui d’une voiture à 300.000 euros.
Sans compter que la version « moderne » est intrinsèquement plus performante…
Oui, parce qu’elle est plus rigide, son moteur est assemblé avec des tolérances d’usinage plus fines. Cela dit, toutes les voitures historiques vont plus vite qu’elles n’allaient à leur époque, de cinq à dix pour cent. Les réglages sont optimisés par des ordinateurs plutôt qu’à l’oreille, les soudures et les colles sont de meilleure qualité. On n’arrête pas le progrès, même en historique. L’enjeu, c’est d’éviter que ce gain n’atteigne les vingt ou trente pour cent.
Les préparateurs risquent de couper la branche sur laquelle ils sont assis.
Comment faire pour limiter cette progression ?
L’imagination d’un concurrent pour améliorer sa machine, de manière plus ou moins légale, est à peu près la même en historique qu’en moderne. D’où l’obligation d’avoir des contrôles techniques permanents pour éviter toute dérive. En 2024, il est arrivé qu’une dizaine de voitures soient déclassées à l’arrivée de courses organisées par Peter Auto. On trouve parfois des composants modernes dans les embrayages, les boîtes de vitesses. Les contrôles en place ne sont pas encore suffisants. Il faut stopper la course à l’armement. Mon successeur Marc Ouayoun et les équipes de Peter Auto y travaillent.
N’est-ce pas une conséquence inévitable de la professionnalisation du sport ?
Le positif, c’est que cette montée en puissance des préparateurs a permis d’améliorer la fiabilité des voitures. Dans les années 1990, on surbookait la liste des engagés du Tour Auto de quinze à vingt pour cent, afin d’anticiper la perte d’une quarantaine de voitures dans la dernière semaine avant le départ. Le négatif, c’est que les budgets ont flambé. Je pense que les préparateurs risquent de couper la branche sur laquelle ils sont assis, car même un propriétaire fortuné peut finir par se demander s’il est bien raisonnable de dépenser autant d’argent dans un loisir.
N’avez-vous pas, un peu, contribué à cette flambée des prix ?
Malgré moi oui. Au début des années 1980, les voitures de collection, même les Ferrari, se vendaient à des prix qui nous sembleraient aujourd’hui dérisoires. Un jour, nous avons remarqué que la valeur des Jaguar avait augmenté à la suite d’une célébration de la marque aux Coupes de l’Âge d’Or de Montlhéry. Ce mécanisme s’est confirmé par la suite. À chaque fois que nous avons lancé un nouveau plateau Peter Auto, le prix des voitures admissibles s’est mécaniquement mis à monter.
Un tour du monde à la voile passe par le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn. Le Mans Classic passe par les Hunaudières, Mulsanne et Arnage.
Quel est votre plus grande réussite ?
Le BPR, le Tour Auto, Chantilly… Pas facile de choisir. Le Mans Classic a été très difficile à organiser la première fois. Pour moi, il était hors de question de le faire sur le Bugatti. Un tour du monde à la voile passe par le cap de Bonne-Espérance et le cap Horn. Le Mans Classic passe par les Hunaudières, Mulsanne et Arnage. C’est comme ça. Le problème, c’est la fermeture du grand circuit qui coûte cher. L’édition inaugurale avait été très déficitaire, au point que j’avais dû vendre des voitures de ma collection personnelle. Je ne l’ai jamais regretté, car nous sommes passés de 20.000 à 200.000 spectateurs en moins de vingt ans.
Et votre plus grand regret ?
Je ne regarde pas trop en arrière. J’ai toujours eu du mal à faire venir des voitures d’avant-guerre, alors que j’adore ça. Ça reste hélas un truc d’Anglais.
Quels rêves vous restent-ils à réaliser ?
Je veux refaire de la voile. C’est pour ça que je me suis posé en Bretagne. J’ai appris à naviguer quand j’étais jeune. J’ai même traversé l’Atlantique. Je n’étais pas prédestiné à faire une carrière dans l’automobile. L’agence de communication, dont je m’occupais avec Sylviane, avait pour clients des marques de sport, de bijouterie, d’horlogerie. Nous serions restés dans ces domaines si Jean-Marie Reisser, à l’époque président de l’ASAVÉ (Association Automobile des Véhicules d’Époque), ne nous avait pas consulté en 1982 pour trouver des sponsors aux Coupes de l’Âge d’Or.
Vous n’allez quand même pas laisser tomber les voitures ?
Non. Quand j’étais gamin, j’adorais démonter des Solex, des mobylettes. Alors je vais essayer de me remettre un peu à la mécanique. J’ai ouvert mon garage en Bretagne, les Ateliers de Kerdrein. Nous avons un espace de 800 mètres carré, très bien équipé pour la mécanique, la carrosserie, la sellerie. C’est un atelier avec vue, face à la mer, raison pour laquelle nous avons installé un système de régulation de l’hygrométrie. Nous y accueillons déjà de très belles voitures, entre autres une Jaguar XJ12 Broadspeed, une Ferrari 308 GTB Gr IV Michelotto, une Porsche 907.
Allez-vous reprendre le volant en course ?
Ma Lotus XI et mon AC Bristol n’attendent que ça ! Pour commencer, je vais faire le rallye Pékin-Paris avec mes trois fils – Geoffroy, Josselin et Marin – qui vont se relayer à mes côtés.
- Patrick Peter (Peter Auto)
- Jérémy Rollet (Drive Vintage)
- Yvan Mahé (Équipe Europe)
- Julien Hergault (Classic Media)